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Pour tous

 

 

 

 

Mises à jour

 

Eté 2025 :

 

 

Pour les futurs khâgneux (obligatoire) :

- Relire l'intégralité des cours de l'année d'hypokhâgne ; ils doivent être sus et bien présents à l'esprit dès la rentrée.

- Lire l'extrait de Platon (allégorie de la caverne) et le cours qui l'accompagne, dans "Cours KH". Noter les éventuelles questions, points à clarifier, etc., afin de pouvoir les traiter dès la rentrée.

 

Pour les futurs hypokhâgneux et les futurs khâgneux (conseillé) :

- Voir les suggestions de lectures dans "Lectures HK" et "Lectures KH".

- Voir ou revoir les conseils de méthode, dans "Corrigés devoirs HK".

- Voir les exemples de dissertations rédigées, les exercices (avec corrigés), etc., sur mon site A vrai dire, dans la rubrique A l'école.

 

Bonnes vacances à tous

 

 

 

 

 

 

  

 

Article

Expliquer, est-ce (un peu) excuser ? Une remarquable mise au point du philosophe André Perrin sur un propos du sociologue Bernard Lahire, qui fournit au passage d'intéressants éléments de réflexion sur la sociologie en général.

 

 

A voir

Très intéressante conférence de Jérôme Ducros au Collège de France sur la musique, mais aussi sur l'art en général, le langage, le sens, etc.

 

 

Intéressant documentaire sur l'apparition et l'évolution de l'écriture.

   

Livres récents

Chantal Delsol, Les pierres d'angles (A quoi tenons-nous?), Paris, Cerf, 2014.

Xavier Martin, Du Temps des Lumières à Napoléon, Recueil d'entretiens "révolutionnaires", éd. Dominique Martin Morin, 2021.

Jean-François Braunstein, La philosophie devenue folle, Le genre, l'animal, la mort, Paris, Grasset, 2018.

Olivier Rey, Leurre et malheur du transhumanisme, Paris, DDB, 2018.

Olivier Rey, L'idolâtrie de la vie, Paris, Gallimard "Tracts", 2020 (à propos de la pandémie du coronavirus)

Rémi Brague, Du Dieu des chrétiens et d'un ou deux autres, Paris, Flammarion, "Champs-essais", 2009.

Allan Bloom, L'âme désarmée, Paris, Les belles lettres, 2019.

Dominique Folscheid, Made in labo, Paris, Cerf, 2019.

 

 

Livres moins récents

 

 

Léo Strauss, Nihilisme et politique, Rivages poche, Paris, 2020 (contient trois conférences, de 1941 et 1962).

H. Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz, Rivages poche, Paris, 1994 (le texte est de 1984).

F. Kaplan, Des singes et des hommes, La frontière du langage, Paris, Fayard, 2001.

 

 

Liens utiles

 

Bonnes copies ENS ancien(ne)s étudiant(e)s

Cliquer ici

 

 

Sujets de concours et rapports de jurys

 Annales sujets et rapports de jurys BCE (écrits)

 Pour exemple :

 - Sujet et rapport de ESSEC 2012 :   BCE Rapport jury ESSEC 2012.pdf

 (NB : inclut un rappel des sujets tombés entre 2003 et 2011)

 - Sujet et rapport de HEC 2012 : BCE Rapport jury HEC 2012.pdf et 2013 : BCE Rapport jury HEC 2013.pdf

Annales sujets et rapports de jurys ENS (écrits et oraux)

 Pour exemple :

 - Sujet et rapport de l'écrit 2013 :ENS Rapport jury écrit 2013.pdf

Rapport des oraux 2013 : ENS Rapport jury oral 2013.pdf

 

 

Sites

A vrai dire (http://philo.pourtous.free.fr/index.htm)

Textes, articles, conseils de lectures, éléments de méthodologie, sujets corrigés, exercices...

 

Mezetulle (http://www.mezetulle.fr/)

Blog de réflexion non exclusivement philosophique, proposant de nombreux articles de qualité sur de très nombreux thèmes, souvent d'actualité.

   

 

 

 


 

 

Corrigés devoirs HK

 

Indications essentielles pour les khôlles HK

 

 

 

 

Préparation 1h – Passage 30mn dont 20mn d'explication par le candidat + 10mn d'échange (questions, reprises, etc.)

 

 

 

 

L'exercice consiste à expliquer un texte, et non à le commenter.

Il s'agit donc de chercher à comprendre le mieux possible la pensée de l'auteur présentée dans le texte, sans chercher à la critiquer (ni positivement, ni négativement). On cherche à mettre au clair ce qu’il dit, comment il le dit, pourquoi il le dit. Il s'agit de se mettre à l'écoute du texte, sans aucun a priori.

Dans ce but l'attention doit se diriger sur deux points généraux :

a) La compréhension claire et exacte de chaque idée, chaque affirmation proposées par le texte ; parfois le sens d'un terme ou d'une phrase n'est pas immédiatement clair, il peut y avoir plusieurs interprétations ; il faut donc chercher à voir quelle est la bonne, ou la plus probable. De cette façon, on s'assure de ne pas se tromper sur l'objet dont il est question (de quoi l'auteur parle-t-il ?), ni sur la teneur de son discours (à propos de cet objet, que dit-il exactement ?).

Attention : il ne s'agit pas d'inventer le sens, ni de plaquer sur le texte tel ou tel sens que l'on croit connaître ; c'est le texte lui-même, et rien d'autre, qui doit servir de guide pour comprendre le sens qu'il donne, lui, à tel ou tel élément.

La règle générale est qu'il faut expliquer le texte par le texte lui-même.

b) La recherche et l'explication des liens logiques instaurés par l'auteur entre ses idées, entre ses affirmations. Un texte philosophique n’est pas seulement une suite de remarques, disposées au hasard ou au gré de « l’inspiration » aléatoire du moment, mais un ensemble organisé, obéissant à des règles. Bref : l’auteur n’a pas jeté des idées sur le papier en vrac, il a suivi un certain ordre, son discours présente une continuité dans son déroulement : il faut le voir, et montrer qu'on l'a vu. Parfois les liens entre les idées seront explicitement indiqués par le texte lui-même, au moyen de termes comme "donc", "par conséquent", etc. : dans ce cas il "suffira" de bien clarifier le sens de ce lien ; mais dans d'autres cas il sera moins apparent, ou même tout à fait implicite : il faudra alors voir et signaler ce lien dont la présence est bien réelle, mais pas immédiatement visible.

Dans les deux cas, expliquer signifie toujours : mettre en pleine lumière ce qui est là (on ne doit rien ajouter ni rien inventer), mais pas forcément visible à première vue.

Sur les deux points (compréhension de chaque élément pris en lui-même, et des liens logiques qui existent entre eux), il ne faut se servir de rien d'autre que du texte lui-même, de ses propres connaissances de vocabulaire et de ses propres capacités de raisonnement. Et il faut laisser le texte tel qu'il est, avec ses éventuelles zones d'ombre. Si, par exemple, le texte comporte un élément qui pose un problème de compréhension, sans donner lui-même les moyens de le résoudre, la bonne attitude n'est pas de faire comme si c'était clair, encore moins de rester muet sur ce point embêtant, mais de le voir et de le dire.

Ce même respect du texte impose de ne pas consacrer le même degré de développement à tous les points du texte, mais de s'arrêter le plus sur ceux qui, par leur rôle dans le texte, le réclament. Dans un texte, tout n'a pas la même importance ; bien expliquer le texte, c'est donc épouser ses contours, ses « temps forts » et ses passages moins essentiels ; c'est précisément le rôle d'une explication de faire ressortir ces contrastes : tout traiter de la même façon, ce serait donc, à la limite, défigurer le texte.

Enfin et toujours pour la même raison, l'explication ne doit pas découper le texte de façon arbitraire et mécanique, par exemple en le prenant phrase par phrase. Il y a des passages qui forment des touts à l'intérieur du texte : découper le texte phrase par phrase reviendrait presque certainement à le priver de son sens, ou à en perdre une grande partie.

On proposera donc :

Une introduction comportant les trois éléments suivants :

Le thème du texte. Attention : ce thème ne doit pas consister en un simple mot, mais doit avoir la forme d'une question. Pour la trouver, se demander : quelle est LA question principale que ce texte étudie, et à laquelle il s'efforce de répondre ?

La thèse du texte. C'est la réponse que le texte propose à la question dégagée ci-dessus.

Le plan du texte. Ce sont les quelques étapes principales de la réflexion de l'auteur.

L'explication proprement dite (cf. supra)

Une conclusion

Elle rappelle la thèse de l'auteur et indique la principale raison qui, selon lui, la justifie.

 

  

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Conseils de méthode pour la dissertation

« (...) un discours doit être constitué comme un être vivant, avec un corps qui lui soit propre, une tête et des pieds, un milieu et des extrémités, toutes parties bien proportionnées entre elles et avec l'ensemble ».

Platon, Phèdre, 264c

 

Faire une dissertation consiste à étudier une question de la façon la plus complète et la plus approfondie possible, et à proposer finalement une réponse. Cela signifie :

1) qu'il ne faut oublier aucun aspect (l'étude doit être complète). Pour cela, il faut dégager tous les sens que la question peut prendre, et n'en éliminer aucun a priori. Concrètement, cela veut dire : envisager tous les sens que chacun des termes du sujet peut prendre. Chaque fois que l'on prend un certain terme dans un certain sens, cela donne une certaine question, qui est l'un des visages que le sujet peut prendre ; ou encore, l'une des questions que le sujet implique ou contient en lui-même.

Parmi les termes du sujet, certains pourront être définis de plusieurs façons (être pris en plusieurs sens), et d'autres non. Ce sont les cours, et aussi la culture personnelle, qui aident à voir lesquels peuvent être pris en plusieurs sens, et quels sont les sens en question.

2) que les différents sens donnés aux termes du sujet, et les différentes questions qui en découlent, ne sont pas tous au même niveau de profondeur ; certaines définition s'en tiennent aux apparences, à ce qui semble évident, et d'autres s'approchent beaucoup plus de la réalité, qui est toujours complexe. Le travail de la dissertation philosophique consiste à partir de cette surface et à avancer le plus possible vers l'essence véritable, plus difficile à voir et nécessitant un chemin pour être atteinte (alors que la surface est immédiatement offerte et accessible).

Remarque pour les KH : à propos des sujets n'ayant pas la forme d'une question (notion, couple de notions, locution...), bien penser à chercher des distinctions et d'éventuelles tensions, rapports, etc. à l'intérieur même d'une notion, avant de les chercher entre cette notion et autre chose. C'est tout particulièrement le cas pour les sujets ne comportant qu'une seule notion, mais cela vaut de façon générale. La règle à garder en tête est : si une notion est à relier avec autre chose qu'elle-même, il faut que ce soit parce que elle-même le réclame – et non pour des raisons extérieures.

Il en découle les conséquences suivantes :

Les définitions des termes en jeu dans le sujet peuvent et doivent évoluer au cours de la dissertation. Il est donc capital de ne pas les fixer définitivement dès le début. Il faut, certes, poser certaines définitions pour commencer, mais en sachant que certaines d'entre elles vont changer par la suite. Si on les fixe une fois pour toutes dès le départ, on rend impossible toute progression de la réflexion !

Précisément, dans la dissertation la réflexion doit progresser, s'enrichir et s'approfondir au fur et à mesure. Cette « marche en avant vers l'essence » s'effectue de manière ordonnée et au travers de grandes étapes, ce qui va la rendre à la fois plus claire et plus rigoureuse. Ces étapes sont les « parties » de la dissertation.

Comment définir chacune de ces étapes ? Comment savoir que tel ensemble de questions et de réflexions doit être regroupé dans une même partie ? Le principe général est le suivant : il y a une partie chaque fois que, les termes essentiels du sujet étant définis d'une certaine façon, le sujet dans son entier est lui-même pris dans un certain sens ; et chaque fois que l'on modifie la définition de l'un de ces termes, on crée une nouvelle partie, car le sujet dans son entier prend alors un nouveau visage.

Cela signifie que, dans chaque partie, tout le sujet est pris en compte (et non pas seulement l'un ou l'autre de ses termes, en laissant de côté les autres). Cela signifie aussi que chaque partie peut et doit comporter une proposition de réponse à la question (sujet). La forme générale de la partie est donc : si tel terme signifie ceci, alors voilà quel est le sens de la question, et voilà quelle est la réponse, pour telle et telle raison.

Le nombre des parties est impossible à fixer d'avance, puisqu'il va dépendre à chaque fois du sujet, et du degré d'approfondissement que l'on est capable d'atteindre. La dissertation est terminée lorsqu'on peut se dire que l'on a vu tous les aspects de la question, en les creusant au maximum, avec les moyens dont on dispose (cours, capacités de réflexion...) à ce moment. Dans la pratique, le nombre de trois parties constitue le meilleur équilibre entre un travail trop rapide et/ou trop concentré (deux parties), et un travail trop ambitieux et/ou trop dispersé (quatre parties ou plus). Néanmoins, il ne faut pas en faire un dogme absolument inviolable, surtout si cela doit conduire à fabriquer artificiellement une partie pour atteindre le chiffre trois, ou à regrouper dans une même partie des choses trop différentes pour éviter de le dépasser. Une dissertation en deux parties peut être convenable, une dissertation en quatre parties peut être excellente.

 

   

Introduction et conclusion

L'introduction est le lieu où il s'agit de voir quel est exactement le problème posé, et quelles principales questions il faut nécessairement étudier pour être en mesure de lui apporter une réponse. Il ne s'agit donc pas d'affirmer quoi que ce soit, ni de répondre, mais de s'interroger ! Si des opinions ou des définitions y apparaissent, ce doit être au conditionnel, en marquant bien que ce sont de simples éventualités, que l'étude du sujet devra confirmer ou infirmer. A ce stade, on ne sait rien, on indique ce qu'il va falloir chercher.

Comme il s'agit de manifester la présence d'un ou quelques problèmes, qui se posent et qui ne dépendent d'aucune doctrine particulière, il faut éviter toute mention d'auteurs philosophiques dans l'introduction. Ceux-ci ne doivent intervenir qu'ensuite, pour aider à soulever des questions plus particulières, ou pour proposer certaines réponses, mais pas pour fixer la problématique d'ensemble.

Faut-il faire une « annonce de plan » ? Ce n'est pas une faute d'en proposer une, mais il est plus habile de présenter simplement les points d'interrogation dans l'ordre qui sera suivi ensuite dans le devoir (plutôt qu'en vrac) : par là même le plan sera indiqué, sans que cela prenne la forme d'une « annonce » formelle. – Si toutefois on en fait une, cette « annonce » ne doit pas indiquer des réponses mais des objets d'examen, des points à examiner et non pas le résultat de l'examen lui-même. Donc proscrire toute formule du genre « dans un premier temps nous verrons que, ou nous soutiendrons que, etc. », mais dire plutôt « dans un premier temps nous nous interrogerons sur... ».

Enfin, il faut éviter toutes les remarques creuses et inutiles que l'on trouve si souvent dans cette partie du devoir, du genre : « Tous les philosophes se sont demandés si... ». Cela n'avance à rien ! Une fois que l'on a dit cela, on n'a strictement rien dit sur le sujet. Et ici comme partout dans le devoir, il faut appliquer la règle : tout ce qui est tel que, si on l'enlevait, il ne manquerait rien, il faut l'éliminer. De même, il faut éliminer de l'introduction tout ce qui est tel, que l'on pourrait dire exactement la même chose si le sujet était un autre que celui-là.

A l'opposé de l'introduction, la conclusion est le temps de la réponse, et non pas des raisonnements ni des questions. C'est pourquoi on ne s'obligera pas à « ouvrir sur un autre problème » : une conclusion, comme son nom l'indique, ne sert pas à ouvrir mais à fermer ! Il s'agit de dire, de façon claire et rapide, ce que la recherche donne finalement comme réponse à la question posée, en rappelant la principale raison qui justifie cette réponse. Il n'est pas du tout obligatoire que cette réponse soit bien nette et pleine de certitude : il est permis de rester dans l'indécision, du moment qu'il y a de vraies raisons pour cela. La règle est simple : on indique ce que la recherche permet de répondre, tel quel, ni plus ni moins. – La conclusion n'est donc pas un résumé: il faut donner le résultat final, sans répéter en raccourci le chemin suivi pour y arriver.

Détail formel : éviter de commencer la conclusion par « Pour conclure, ... », comme le font 80% des étudiant(e)s.

 

 

 

 

 

Cours KH

 Platon, La République, livre VII

 

 (dialogue entre Socrate et Glaucon; Socrate parle le premier et Glaucon lui répond)

 

   « Maintenant, repris-je, représente-toi de la façon que voici l'état de notre nature relativement à l'instruction et à l'ignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. 

-- Je vois cela, dit-il. 

Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, et en toute espèce de matière ; naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent. 

-- Voilà, s'écria-t-il, un étrange tableau et d'étranges prisonniers. 

Ils nous ressemblent, répondis-je ; et d'abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ? 

-- Et comment ? observa-t-il, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie ? 

Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas de même ? 

-- Sans contredit. 

Si donc ils pouvaient s'entretenir ensemble ne penses-tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient ? 

-- Il y a nécessité. 

Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l'un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l'ombre qui passerait devant eux ? 

-- Non, par Zeus, dit-il. 

Assurément, repris-je, de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres des objets fabriqués. 

-- C'est de toute nécessité. 

Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les délivre de leurs chaînes et qu'on les guérisse de leur ignorance. Qu'on détache l'un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements il souffrira, et l'éblouissement l'empêchera de distinguer ces objets dont tout à l'heure il voyait les ombres. Que crois-tu donc qu'il répondra si quelqu'un lui vient dire qu'il n'a vu jusqu'alors de vains fantômes, mais qu'à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste ? Si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l'oblige, à force de questions, à dire ce que c'est ? Ne penses-tu pas qu'il sera embarrassé, et que les ombres qu'il voyait tout à l'heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu'on lui montre maintenant ? 

-- Beaucoup plus vraies, répondit-il. 

Et si on le force à regarder la lumière elle-même, ses yeux n'en seront-ils pas blessés ? N'en fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses qu'il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu'on lui montre ? 

-- Assurément. 

Et si, repris-je, on l'arrache de sa caverne par force, qu'on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu'on ne le lâche pas avant de l'avoir traîné jusqu'à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-t-il pas de ces violences ? Et lorsqu'il sera parvenu à la lumière, pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule de ces choses que maintenant nous appelons vraies ? 

-- Il ne le pourra pas, répondit-il ; du moins dès l'abord. 

Il aura, je pense, besoin d'habitude pour voir les objets de la région supérieure. D'abord ce seront les ombres qu'il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux, ensuite les objets eux-mêmes. Après cela, il pourra, affrontant la clarté des astres et de la lune, contempler plus facilement pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui-même, que pendant le jour le soleil et sa lumière. 

-- Sans doute. 

A la fin, j'imagine, ce sera le soleil – non ses vaines images réfléchies dans les eaux ou en quelque autre endroit – mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourra voir et contempler tel qu'il est. 

-- Nécessairement, dit-il. 

Après cela il en viendra à conclure au sujet du soleil, que c'est lui qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui, d'une certaine manière, est la cause de tout ce qu'il voyait avec ses compagnons dans la caverne. 

-- Évidemment, c'est à cette conclusion qu'il arrivera. 

Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse qu'on y professe, et de ceux qui y furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu'il se réjouira du changement et plaindra ces derniers ? 

-- Si, certes. 

Et s'ils se décernaient alors entre eux honneurs et louanges, s'ils avaient des récompenses pour celui qui saisissait de l’œil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble, et qui par là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme fût jaloux de ces distinctions, et qu'il portât envie à ceux qui, parmi les prisonniers, sont honorés et puissants ? Ou bien, comme le héros d'Homère1, ne préférera-t-il pas mille fois n'être qu'un valet de charrue, au service d'un pauvre laboureur, et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à ses anciennes illusions et de vivre comme il vivait ? 

-- Je suis de ton avis, dit-il ; il préférera tout souffrir plutôt que de vivre de cette façon-là. 

Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s’asseoir à son ancienne place : n'aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil ? 

-- Assurément si, dit-il. 

Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis (or l'accoutumance à l'obscurité demandera un temps assez long), n'apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens, et ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter ? Et si quelqu'un tente de les délier et de les conduire en haut, et qu'ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas ? 

-- Sans aucun doute, répondit-il. 

 

Platon, La République, VII, 514a – 517a, trad. R. Baccou, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, pp.273-275.  

1. Odyssée, XI, vers 489.

 

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Cours

Platon, Allégorie de la caverne

A lire en lien constant avec le texte de l'allégorie

 

 

I. La situation initiale

Le prisonnier dans sa caverne est dans l'illusion du savoir, c'est-à-dire dans l'ignorance de son ignorance. C'est le plus grand éloignement possible par rapport à la connaissance de la vérité.

Le prisonnier croit avoir des connaissances à propos de ce que sont le réel et le vrai,alors qu'il n'a que des opinions à propos d'apparences.

Comme l'a montré la fin du livre VI (qui précède immédiatement l'allégorie ouvrant le libre VII) à travers l'image de la « ligne », il y a une corrélation entre le mode de pensée et le genre d'objet :

L'opinion est la pensée immédiate, ne résultant d'aucune interrogation ni recherche ; « évidence » = ce qui « saute aux yeux », remplit et obstrue le regard.

L'objet de cette idée est lui-même un immédiat, non quelque chose de résultant qui serait issu d'un devenir, d'un processus. Les ombres et les échos ne sont pas perçus comme tels par le prisonnier, c'est-à-dire comme des résultats, mais comme des « choses qui sont », des immédiatetés.

Lien entre les deux, forme de pensée et objet pensé, type de regard et type d'objet regardé : l'immédiateté de l'objet, le fait qu'il soit pris comme un en soi détaché de tout lien (comme s'il se tenait dans l'existence par lui-même) impose l'immédiateté de la représentation, l'idée que l'on s'en fait a elle-même statut de vérité sous forme de chose. A la réalité faite de choses correspond la pensée sous forme d'opinions.

L'opinion est donc corrélative d'un type d'objet : le sensible (cf. ligne, fin du livre VI) ; ce qui est montré par les sens est nécessairement donné sur ce mode, comme un quelque chose qui est, de fait, et est ainsi. Mais inversement, c'est le type de regard qui confère à l'objet son immédiateté, l'isole (le coupe de ses médiations avec le reste) et lui attribue une consistance ontologique que, par lui-même, il n'a pas. Ce qui est en vérité effet et produit (les ombres et les échos) est figé en réalité indépendante, par ignorance des médiations dont il résulte.

En ce sens, le regard façonne l'objet autant et plus qu'il n'est façonné par lui. Si le sensible favorise l'adoption de l'opinion comme mode de pensée, il reste qu'il peut aussi être vu autrement. Inversement, un objet intelligible, qui par nature appelle un regard autre que celui de l'opinion, peut être néanmoins appréhendé sur ce mode. Par exemple : « connaître » le théorème de Pythagore « par cœur », sans être capable de reconstituer l'enchaînement des raisons qui le justifient, cela revient à le « chosifier », à l'« immédiatiser », et à avoir sur lui non pas une connaissance, mais seulement une opinion – une opinion qui est « vraie », mais qui n'est cependant qu'une opinion. Or la connaissance est encore autre chose qu'une simple opinion vraie.

Ce qui apparaît (phainomenon) n'apparaît qu'en fonction d'une capacité de réception ou « horizon d'attente », qui détermine à l'avance ce qui est visible ou non, possible ou non, désirable ou non.

L'idée d'« horizon » est celle d'un champ de vision, formant un tout, ayant une structure, et nécessairement une limite : par nature il exclut certaines choses, il les rend invisibles ou visibles seulement au prix de déformations et d'amputations : toutes celles qui, par nature, sont inaccessibles à notre regard tel qu'il est. Dans l'allégorie, les statuettes, le feu, etc. sont dans le dos des prisonniers, inaccessibles à leurs regards, parce que les prisonniers ont adopté une position qui leur rend impossible de les voir). L'horizon, comme tout clos hermétiquement, est donc semblable à une prison. Mais le prisonnier ne la voit pas comme telle, il ne sait pas qu'il est en prison : il ne peut pas avoir l'idée ni le désir d'en sortir. Davantage même : le prisonnier aime sa prison, il se sent très bien en elle ; pour lui elle est source de confort, de bien-être et de satisfaction, car il ne peut désirer rien d'autre que ce qu'elle est capable de lui fournir : il est comblé par elle.

Quant à ceux qui marchent au long du mur en portant les statuettes, leur situation est ambiguë. Savent-ils que, derrière le mur, il y a des hommes (les prisonniers) qui voient les ombres des objets qu'ils portent, et qui les prennent pour le réel ? Et donc, ces porteurs de statuettes sont-ils conscients qu'ils occupent une position de pouvoir, et qu'ils sont source de tromperie à l'égard d'autrui ? Dans la mesure où ils regardent et avancent droit devant eux, ne voyant ni ne cherchant les modèles réels de leurs statuettes, ils traitent eux-mêmes ces dernières comme des immédiatetés, et ils sont à cet égard dans la même situation fondamentale que les prisonniers ; ils s'apparentent donc à des ignorants qui en dominent d'autres sans le savoir, plutôt qu'à des savants qui utiliseraient leur savoir pour dominer des ignorants.

 

 

II. Nécessité d'une aide extérieure

Le prisonnier n'a pas, et ne peut pas avoir, de désir de sortir de la caverne. Il ne peut même pas soupçonner qu'il existe un « dehors » de la caverne. Par conséquent, s'il doit en sortir un jour, cela ne pourra se faire que si on vient le chercher, et qu'on le force à en sortir ; et certainement pas sous la forme d'une « évasion » effectuée par lui-même. Sa libération, c'est-à-dire sa sortie hors de la caverne, ne viendra pas satisfaire son désir, mais viendra au contraire le contrarier. Plus précisément, libérer le prisonnier signifiera : le contraindre à orienter différemment son désir, qui était jusqu'ici capté par (et captif de) ce que la caverne peut offrir. Répétons-le : La misère des prisonniers consiste justement dans le fait qu'ils ne désirent rien d'autre que ce que la caverne peut donner, et donc qu'ils aiment leur prison, ne se doutant même pas que c'en est une.

NB : il faut s'assurer que ceci est bien compris, car il y a de fréquents contresens sur ce point essentiel. C'est ne rien comprendre à l'allégorie de Platon, que de croire que le prisonnier pourrait s'échapper de la caverne par lui-même : il n'en a ni l'envie, ni la capacité.

Les prisonniers sont là « depuis toujours » : cela signifie que, fondamentalement, la situation première de l'homme n'est pas celle de la virginité, de la disponibilité, et du désir de la vérité, mais celle d'une orientation naturelle de leur désir et de leur intérêt vers des choses, et vers le genre de satisfaction que les choses peuvent procurer.

Aider le prisonnier, le libérer de ses chaînes invisibles, cela va donc consister à arracher son désir et sa pensée au genre d'objets qui se trouvent dans la caverne, pour les tourner vers des objets d'une tout autre nature, que la caverne ne permet pas de voir. Mais justement pour voir ces nouveaux objets, il va falloir que le prisonnier change sa façon de regarder, c'est-à-dire sa manière d'exercer sa pensée, pour passer de l'opinion (qui ne peut porter que sur des apparences) à la connaissance (qui ne peut porter que sur le réel). C'est là le sens platonicien de l'idée même d'éducation, comme l'indique le tout début de l'extrait. Ce parcours constitue pour le prisonnier un bouleversement complet, qui le conduit à perdre tout ce qu'il avait jusqu'ici (genre d'objets et genre de regard), sans être encore capable de comprendre ce qu'il va y gagner en contrepartie (nouveaux objets et nouveau regard). Dans l'allégorie, c'est le moment où le prisonnier, forcé de se tourner vers la lumière (d'abord du feu, puis du soleil), est complètement perdu, ébloui : ce qu'il voyait auparavant, il ne le voit plus, et pour l'instant il ne voit encore rien d'autre. En perdant de vue le genre d'objets qui peuplaient son petit monde, le prisonnier est en train de progresser : il passe de l'illusion du savoir à la conscience de son ignorance ; mais lui le vit comme une régression.

Une conséquence logique et importante en découle : cette aide ne pourra pas apparaître d'emblée comme étant une aide, par ceux-là mêmes qui en bénéficieront : elle leur apparaîtra au contraire, du moins au début, comme un arrachement forcé et douloureux à leur petit monde familier et confortable, autrement dit comme une agression.

Ces dernières remarques concernent la question des rapports avec autrui, et des bouleversements qu'ils sont appelés à subir. Pour mieux comprendre leur évolution, décrivons-les rapidement tels qu'ils se présentent au départ, avant que le prisonnier ne soit libéré.

Les prisonniers entre eux : ils sont « unis » par un accord fondamental, quoique tacite et non réfléchi, sur ce qui est réel ou non, désirable ou non ; leurs éventuelles disputes existeront sur ce fond et supposeront cet accord sur l'essentiel.

Le prisonnier et le libérateur : à cause de la dissymétrie de leurs situations, il faut dédoubler ce rapport. Il y a α. Le regard du prisonnier sur le libérateur : ce dernier apparaît comme un autre, un étranger, un agresseur. Il y a donc là un heurt de deux désirs incompatibles, non pas parce qu'ils visent le même objet, mais au contraire parce que leurs directions sont opposées → un désaccord d'une autre nature que celui pouvant exister entre prisonniers. Le libérateur ne peut remplir son rôle qu'en prenant sur lui l'apparence d'un agresseur, la dissipation de cette apparence pouvant et devant être une conséquence de la libération elle-même. Et il y a β. Le regard du libérateur sur le prisonnier : inversement, le regard du libérateur est lucide : il voit le prisonnier tel qu'il est effectivement, c'est-à-dire comme n'étant pas ce qu'il doit être. S'exposant à la résistance et à l'hostilité de celui qu'il aide, le libérateur a égard uniquement au bien de l'autre, et non au sien : il le voit et le traite, au moins jusqu'à un certain point, comme une fin en soi, et fait de lui-même un moyen en vue de son accès au vrai et à lui-même.

 

 

III. La libération : de l'effet sans effet à la cause sans cause

Il s'agit de préciser en quoi consiste la progression du prisonnier sous l'impulsion de son libérateur, et ce que sont les grandes étapes de cette progression.

Cette progression est double : elle concerne à la fois 1. le genre d'objets sur lesquels le regard se porte, et 2.le genre de regard porté sur les objets. Regardons ces deux points successivement, mais sans oublier qu'ils sont liés et qu'ils évoluent ensemble.

Concernant 1. le genre d'objets, la progression consiste à passer peu à peu du moins réel au plus réel (des ombres aux statuettes puis aux « êtres réels »). Mais qu'est-ce que le « réel » ? Et que signifie l'idée que certaines choses sont « plus réelles » que d'autres ? L'allégorie platonicienne nous invite à nous interroger sur l'idée même de réalité. Avantde regarder comment l'allégorie met cette idée en images, formulons-la de manière abstraite et générale :

Le plus réel n'est pas ce qui est le plus palpable, le plus sensible (= accessible aux sens), mais ce qui a le moins besoin d'autre chose que soi pour être, et pour être ce qu'il est (= ce qui a le plus d'« autonomie ontologique »). Le pleinement réel ou « réellement réel », c'est ce qui ne doit qu'à soi-même d'être, et d'être ce qu'il est. Inversement, plus une chose a besoin d'autre chose qu'elle-même pour exister, moins elle est réelle.

Voyons maintenant comment cela se traduit, de façon imagée, dans l'allégorie.

L'ombre est moins réelle que la statuette (et celle-ci est elle-même moins réelle que son modèle) parce qu'elle ne peut exister sans celle-ci, la réciproque étant fausse : l'ombre n'existe pas sans la statuette, alors que la statuette existe sans l'ombre. L'ombre est le plus bas degré du réel parce qu'elle est de fond en comble résultante, déterminée par l'extérieur, incapable d'être à son tour source d'autre chose : il n'y a plus rien « après » elle, elle est un effet sans effet.

Les éléments intermédiaires (statuettes, animaux, etc. = tout ce qu'il y a entre les ombres et le soleil) sont à la fois effets et causes ; ils proviennent d'autre chose qu'eux-mêmes, et sont donc des effets ; mais ils produisent eux-mêmes d'autres choses, dont ils sont les causes. Par exemple : les statuettes sont les effets des animaux qui sont leurs modèles, et elles sont les causes des ombres. Ces éléments intermédiaires ne sont donc pas pleinement réels, puisqu'ils requièrent autre chose qu'eux-mêmes pour être ; mais ils ont tout de même une certaine réalité, puisqu'ils produisent certaines choses/

Le soleil est cause sans cause, accomplissant et « remplissant » la définition du réel comme autonomie ontologique : tout le reste n'existe que grâce à lui, mais lui existe par lui-même. Alors que l'ombre n'a plus rien « après » elle, le soleil n'a plus rien « avant » lui. Faut-il aller jusqu'à y voir une causa sui (= une cause de soi) ? Oui, au moins en ce sens qu'il est source de sa propre visibilité. Tout le reste est éclairé, rendu visible, par le soleil ; mais le soleil est éclairé et rendu visible par lui-même – et en ce sens, il est source de lui-même.

NB : les deux termes extrêmes, ombres et soleil, se ressemblent paradoxalement, par leur immédiateté ; par un côté au moins ils ne sont liés à rien d'autre : l'ombre est sans « après », le soleil est sans « avant » ; mais pour l'ombre, c'est signe de pénurie, alors que pour le soleil, c'est signe de plénitude. En outre, si le soleil est causa sui, son immédiateté est elle-même le résultat d'une absolue médiation de soi par soi (le soleil s'éclaire lui-même). C'est la figure du cercle, qui représente une activité exercée par soi et sur soi (alors que l'ombre, elle, n'exerce aucune activité sur rien ; elle est pure passivité).

Concernant 2. Le genre de regard, il y a une correspondance avec chaque genre d'objets. La progression consiste à passer de la pure opinion à la pleine connaissance ou contemplation, en passant par le raisonnement ou pensée discursive. C'est-à-dire :

Le regard sur l'ombre est simple perception immédiate ; il ne requiert aucune réflexion ; pour voir l'ombre il suffit d' « ouvrir les yeux » (pure opinion).

Le regard sur les éléments intermédiaires est nécessairement réfléchi et raisonné, car on ne peut pas les voir sans les relier entre eux, sans saisir les relations en vertu desquelles ils sont ce qu'ils sont. Par exemple, pour voir la statuette comme une statuette, il faut la saisir comme étant une copie simplifiée d'autre chose (l'animal qui en est le modèle). Il s'agit donc d'enchaîner les choses les unes avec les autres, et non pas se contenter de regarder chacune prise isolément. C'est le regard de l'intelligence (étymologiquement : inter-legere = discerner non pas seulement les « choses », mais les liens entre elles). (raisonnement, ou, comme le dit Platon, pensée discursive = pensée qui contient plusieurs éléments reliés entre eux ).

Le regard sur le soleil, enfin, ne consiste plus à relier cet objet avec autre chose, puisque justement le soleil a toute sa réalité en lui-même, et ne dépend de rien d'autre. Littéralement, il est ab-solu, c'est-à-dire : dé-lié, totalement autonome. Il réclame donc un regard qui se fixe sur lui seul, qui s'arrête sur lui, et ne cesse de plonger toujours plus en lui. C'est le regard de la contemplation, de la connaissance non plus en devenir, ou en chemin (raisonnement méthodique), mais pleinement aboutie, « parfaite » ; ce regard est situé « au-delà » du raisonnement, parce que son objet est situé au-delà de toute relation ; mais cela ne signifie pas que l'on pourrait « sauter » directement à la contemplation en faisant l'économie de tout le parcours du raisonnement : car on ne peut « dépasser » le raisonnement qu'en passant par lui.

NB : Ici encore les deux extrêmes (opinion, contemplation) présentent une ressemblance, mais celle-ci n'est qu'extérieure. Dans les deux cas, le regard est contraint de « s'arrêter » sur l'objet, de devenir immédiat, si bien que le discours (la pensée discursive, qui enchaîne les termes les uns avec les autres) doit cesser et faire place à « l'évidence ». Mais pour l'ombre, c'est parce que la chose laisse inaperçue son origine, alors que pour le soleil c'est parce que la chose se montre comme étant elle-même sa propre origine. Donc dans le cas du soleil, le regard est renvoyé, par la chose regardée, à elle-même : son immobilité contient pour ainsi dire la plénitude du mouvement, alors que l'immobilité du regard sur l'ombre est due à l'absence de vitalité interne. Il faut donc bien distinguer opinion (doxa) et contemplation (theoria) dans leur commune extériorité à la pensée discursive ou raisonnement (dianoia) – par exemple en les mettant en parallèle avec les deux visages possibles de la certitude : par absence de doute, ou par dépassement du doute.

A propos de la forme générale du parcours, remarquons qu'il y a deux ordres différents qui entrent en jeu, et qu'ils sont inverses. D'une part, l'ordre chronologique : c'est l'ordre dans lequel les choses apparaissent au prisonnier (qui avance peu à peu vers le soleil) au fil du temps. D'autre part, l'ordre logique: c'est l'ordre dans lequel les choses sont liées les unes aux autres. Ces deux ordres sont inverses : ce qui apparaît en premier au regard (chronologiquement), c'est ce qui vient en dernier dans l'enchaînement des causes et des effets (logiquement). Et inversement, ce qui devient visible en dernier (chronologiquement) est ce qui vient en premier dans l'enchaînement des causes et des effets (logiquement). Ce qui est premier en soi est ce qui apparaît en dernier pour l'homme, et inversement. Par exemple : le prisonnier voit d'abord les ombres, et ensuite les statuettes ; mais en vérité, ce sont les statuettes qui sont premières par rapport aux ombres, car ce sont elles qui les produisent. C'est donc un peu comme si, en progressant, le prisonnier remontait le courant véritable des choses, en direction de ce qui est le plus originaire.

Toujours à propos du parcours du prisonnier, l'une de ses étapes mérite une attention particulière. C'est le moment où l'on sort de la caverne pour déboucher sur le monde extérieur ; dans ce monde extérieur se trouvent les « êtres réels » (animaux, etc.), qui sont les modèles dont les statuettes et les ombres (situées toutes deux dans la caverne) n'étaient que des copies dégradées et appauvries. Si, à l'aide de la « ligne » exposée à la fin du livre VI, on traduit ces images en concepts, c'est le moment où l'on sort du monde sensible (où règne l'opinion) pour entrer dans le monde intelligible (où s'épanouit la connaissance). Cette étape est centrale, décisive, car c'est là qu'on passe du particulier à l'universel, de la pluralité à l'unité, du devenir à l'être. C'est à partir de là qu'est mis de côté de tout ce qui, dans les choses, est contingent, variable. C'est là que commence la vision de formes, structures et rapports universels et nécessaires, entre les parties des choses et entre les choses elles-mêmes.

En particulier : les mathématiques : arithmétique, géométrie ; nombres et figures : idées, invisibles aux sens, accessibles seulement à l'esprit. Aucun nombre, cercle, triangle, etc. n'existe dans le monde sensible ; or c'est seulement avec de tels objets purement intelligibles qu'existent des liens logiques et nécessaires, et donc que peut exister la connaissance. Inversement, il n'y a pas de connaissance véritable à propos de ce qui est sensible, car tout y est fluctuant, contingent et particulier.

En ce sens c'est seulement dans la sortie hors de la caverne (« monde extérieur ») que se situe le vrai début de la libération ou de la vie propre de l'âme, là qu'elle commence à respirer et à se mouvoir selon sa nécessité propre.

Mais ce monde extérieur (« monde intelligible », « mondes des idées ») lui-même se découpe en deux grandes régions : celles des idées mathématiques, et celle des idées philosophiques. Dans les deux cas, il s'agit d'idées, d'intelligibles purs, qui sont universels et nécessaires ; mais il y a tout de même entre les deux une différence de nature. Il y a donc encore une progression à accomplir, au sein même de ce qui est en-dehors de la caverne (« monde sensible »), pour passer du mathématique au philosophique. Précisons rapidement pourquoi :

Les idées mathématiques sont bien distinctes des choses sensibles, mais ce sont tout de même encore des idées de choses sensibles ; ce sont les formes intelligibles du sensible. Ex : aucune chose sensible n'est vraiment carrée, et le carré est bien une pure idée, un pur intelligible ; mais être carré n'a de sens que pour des choses sensibles, et c'est seulement à des choses sensibles que cette idée peut être appliquée (l'âme, par exemple, n'est pas qualifiable, même approximativement, par une caractéristique de ce genre).

Les formes ou idées mathématiques ne sont donc pas radicalement déliées du sensible (dans l'allégorie, on voit que les objets correspondant à cette forme de pensée sont les animaux et choses « réels », ie les formes « parfaites » et « premières » du sensible). Elles permettent de dire comment les choses sont et pourquoi elles sont ainsi (liens logiques mathématiques), mais non ce qu'elles sont en elles-mêmes, dans leur signification, dans leur essence. C'est pourquoi les mathématiques ont, chez Platon, un rôle essentiellement propédeutique, c'est-à-dire préparatoire ; en accoutumant l'esprit à prendre en vue l'intelligible extrait du sensible (nombres, figures géométriques), elles préparent à la vision de l'intelligible pur et simple : l'essence, qui est objet non plus des mathématiques, mais de la dialectique ou pensée philosophique.

 

 

III. Sagesse des apparences et apparence de sagesse

Il y a dans la caverne une certaine « sagesse » : l'art de deviner la succession des phénomènes (ombres). Mais cette sagesse n'en est pas une, car elle est incapable de fournir les causes. Les prisonniers « savent que » telle ombre va venir, par simple prolongement de ce qu'ils ont vu auparavant ; mais ils ne savent pas pourquoi, et donc ils ne le savent pas vraiment. Ils n'ont, au mieux, que des opinions justes, ou opinions droites (ortho doxa), qui ressemblent à des connaissances, mais qui n'en sont pas. Leur « sagesse » ne fait appel qu'à la perception et à la mémoire, qui permettent de remarquer et de retenir l'existence de liens chronologiques entre les choses (lesquelles viennent avant, après, en même temps) ; mais elle ne fait pas appel à l'intelligence, c'est-à-dire à la faculté d'établir des liens non pas seulement chronologiques, mais logiques entre les choses (lesquelles sont causes, et lesquelles sont effets). La vraie sagesse exige précisément la capacité à discerner ce genre de liens : non pas simplement constater que « A précède B », comme le font les prisonniers les plus habiles, mais comprendre que « A est cause de B », comme le fait le prisonnier qui a été libéré (et qui n'est donc plus prisonnier).

Il y a là deux manières foncièrement différentes de se tenir devant les choses et de les voir ; elles dessinent deux hiérarchies, deux « richesses ». Elles se font mutuellement obstacle : Platon suggère nettement que l'on ne peut exceller dans l'une qu'en étant déficient dans l'autre – aussi vaut-il mieux être peu élevé dans la vraie sagesse que d'être très élevé dans la fausse (cf. citation d'Homère à propos d'Achille).

 

 

 

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