Indications essentielles pour les khôlles HK
Préparation 1h – Passage 30mn dont 20mn d'explication par le candidat + 10mn d'échange (questions, reprises, etc.)
L'exercice consiste à expliquer un texte, et non à le commenter.
Il s'agit donc de chercher à comprendre le mieux possible la pensée de l'auteur présentée dans le texte, sans chercher à la critiquer (ni positivement, ni négativement). On cherche à mettre au clair ce qu’il dit, comment il le dit, pourquoi il le dit. Il s'agit de se mettre à l'écoute du texte, sans aucun a priori.
Dans ce but l'attention doit se diriger sur deux points généraux :
a) La compréhension claire et exacte de chaque idée, chaque affirmation proposées par le texte ; parfois le sens d'un terme ou d'une phrase n'est pas immédiatement clair, il peut y avoir plusieurs interprétations ; il faut donc chercher à voir quelle est la bonne, ou la plus probable. De cette façon, on s'assure de ne pas se tromper sur l'objet dont il est question (de quoi l'auteur parle-t-il ?), ni sur la teneur de son discours (à propos de cet objet, que dit-il exactement ?).
Attention : il ne s'agit pas d'inventer le sens, ni de plaquer sur le texte tel ou tel sens que l'on croit connaître ; c'est le texte lui-même, et rien d'autre, qui doit servir de guide pour comprendre le sens qu'il donne, lui, à tel ou tel élément.
La règle générale est qu'il faut expliquer le texte par le texte lui-même.
b) La recherche et l'explication des liens logiques instaurés par l'auteur entre ses idées, entre ses affirmations. Un texte philosophique n’est pas seulement une suite de remarques, disposées au hasard ou au gré de « l’inspiration » aléatoire du moment, mais un ensemble organisé, obéissant à des règles. Bref : l’auteur n’a pas jeté des idées sur le papier en vrac, il a suivi un certain ordre, son discours présente une continuité dans son déroulement : il faut le voir, et montrer qu'on l'a vu. Parfois les liens entre les idées seront explicitement indiqués par le texte lui-même, au moyen de termes comme "donc", "par conséquent", etc. : dans ce cas il "suffira" de bien clarifier le sens de ce lien ; mais dans d'autres cas il sera moins apparent, ou même tout à fait implicite : il faudra alors voir et signaler ce lien dont la présence est bien réelle, mais pas immédiatement visible.
Dans les deux cas, expliquer signifie toujours : mettre en pleine lumière ce qui est là (on ne doit rien ajouter ni rien inventer), mais pas forcément visible à première vue.
Sur les deux points (compréhension de chaque élément pris en lui-même, et des liens logiques qui existent entre eux), il ne faut se servir de rien d'autre que du texte lui-même, de ses propres connaissances de vocabulaire et de ses propres capacités de raisonnement. Et il faut laisser le texte tel qu'il est, avec ses éventuelles zones d'ombre. Si, par exemple, le texte comporte un élément qui pose un problème de compréhension, sans donner lui-même les moyens de le résoudre, la bonne attitude n'est pas de faire comme si c'était clair, encore moins de rester muet sur ce point embêtant, mais de le voir et de le dire.
Ce même respect du texte impose de ne pas consacrer le même degré de développement à tous les points du texte, mais de s'arrêter le plus sur ceux qui, par leur rôle dans le texte, le réclament. Dans un texte, tout n'a pas la même importance ; bien expliquer le texte, c'est donc épouser ses contours, ses « temps forts » et ses passages moins essentiels ; c'est précisément le rôle d'une explication de faire ressortir ces contrastes : tout traiter de la même façon, ce serait donc, à la limite, défigurer le texte.
Enfin et toujours pour la même raison, l'explication ne doit pas découper le texte de façon arbitraire et mécanique, par exemple en le prenant phrase par phrase. Il y a des passages qui forment des touts à l'intérieur du texte : découper le texte phrase par phrase reviendrait presque certainement à le priver de son sens, ou à en perdre une grande partie.
On proposera donc :
Une introduction comportant les trois éléments suivants :
Le thème du texte. Attention : ce thème ne doit pas consister en un simple mot, mais doit avoir la forme d'une question. Pour la trouver, se demander : quelle est LA question principale que ce texte étudie, et à laquelle il s'efforce de répondre ?
La thèse du texte. C'est la réponse que le texte propose à la question dégagée ci-dessus.
Le plan du texte. Ce sont les quelques étapes principales de la réflexion de l'auteur.
L'explication proprement dite (cf. supra)
Une conclusion
Elle rappelle la thèse de l'auteur et indique la principale raison qui, selon lui, la justifie.
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Conseils de méthode pour la dissertation
« (...) un discours doit être constitué comme un être vivant, avec un corps qui lui soit propre, une tête et des pieds, un milieu et des extrémités, toutes parties bien proportionnées entre elles et avec l'ensemble ».
Platon, Phèdre, 264c
Faire une dissertation consiste à étudier une question de la façon la plus complète et la plus approfondie possible, et à proposer finalement une réponse. Cela signifie :
1) qu'il ne faut oublier aucun aspect (l'étude doit être complète). Pour cela, il faut dégager tous les sens que la question peut prendre, et n'en éliminer aucun a priori. Concrètement, cela veut dire : envisager tous les sens que chacun des termes du sujet peut prendre. Chaque fois que l'on prend un certain terme dans un certain sens, cela donne une certaine question, qui est l'un des visages que le sujet peut prendre ; ou encore, l'une des questions que le sujet implique ou contient en lui-même.
Parmi les termes du sujet, certains pourront être définis de plusieurs façons (être pris en plusieurs sens), et d'autres non. Ce sont les cours, et aussi la culture personnelle, qui aident à voir lesquels peuvent être pris en plusieurs sens, et quels sont les sens en question.
2) que les différents sens donnés aux termes du sujet, et les différentes questions qui en découlent, ne sont pas tous au même niveau de profondeur ; certaines définition s'en tiennent aux apparences, à ce qui semble évident, et d'autres s'approchent beaucoup plus de la réalité, qui est toujours complexe. Le travail de la dissertation philosophique consiste à partir de cette surface et à avancer le plus possible vers l'essence véritable, plus difficile à voir et nécessitant un chemin pour être atteinte (alors que la surface est immédiatement offerte et accessible).
Remarque pour les KH : à propos des sujets n'ayant pas la forme d'une question (notion, couple de notions, locution...), bien penser à chercher des distinctions et d'éventuelles tensions, rapports, etc. à l'intérieur même d'une notion, avant de les chercher entre cette notion et autre chose. C'est tout particulièrement le cas pour les sujets ne comportant qu'une seule notion, mais cela vaut de façon générale. La règle à garder en tête est : si une notion est à relier avec autre chose qu'elle-même, il faut que ce soit parce que elle-même le réclame – et non pour des raisons extérieures.
Il en découle les conséquences suivantes :
Les définitions des termes en jeu dans le sujet peuvent et doivent évoluer au cours de la dissertation. Il est donc capital de ne pas les fixer définitivement dès le début. Il faut, certes, poser certaines définitions pour commencer, mais en sachant que certaines d'entre elles vont changer par la suite. Si on les fixe une fois pour toutes dès le départ, on rend impossible toute progression de la réflexion !
Précisément, dans la dissertation la réflexion doit progresser, s'enrichir et s'approfondir au fur et à mesure. Cette « marche en avant vers l'essence » s'effectue de manière ordonnée et au travers de grandes étapes, ce qui va la rendre à la fois plus claire et plus rigoureuse. Ces étapes sont les « parties » de la dissertation.
Comment définir chacune de ces étapes ? Comment savoir que tel ensemble de questions et de réflexions doit être regroupé dans une même partie ? Le principe général est le suivant : il y a une partie chaque fois que, les termes essentiels du sujet étant définis d'une certaine façon, le sujet dans son entier est lui-même pris dans un certain sens ; et chaque fois que l'on modifie la définition de l'un de ces termes, on crée une nouvelle partie, car le sujet dans son entier prend alors un nouveau visage.
Cela signifie que, dans chaque partie, tout le sujet est pris en compte (et non pas seulement l'un ou l'autre de ses termes, en laissant de côté les autres). Cela signifie aussi que chaque partie peut et doit comporter une proposition de réponse à la question (sujet). La forme générale de la partie est donc : si tel terme signifie ceci, alors voilà quel est le sens de la question, et voilà quelle est la réponse, pour telle et telle raison.
Le nombre des parties est impossible à fixer d'avance, puisqu'il va dépendre à chaque fois du sujet, et du degré d'approfondissement que l'on est capable d'atteindre. La dissertation est terminée lorsqu'on peut se dire que l'on a vu tous les aspects de la question, en les creusant au maximum, avec les moyens dont on dispose (cours, capacités de réflexion...) à ce moment. Dans la pratique, le nombre de trois parties constitue le meilleur équilibre entre un travail trop rapide et/ou trop concentré (deux parties), et un travail trop ambitieux et/ou trop dispersé (quatre parties ou plus). Néanmoins, il ne faut pas en faire un dogme absolument inviolable, surtout si cela doit conduire à fabriquer artificiellement une partie pour atteindre le chiffre trois, ou à regrouper dans une même partie des choses trop différentes pour éviter de le dépasser. Une dissertation en deux parties peut être convenable, une dissertation en quatre parties peut être excellente.
Introduction et conclusion
L'introduction est le lieu où il s'agit de voir quel est exactement le problème posé, et quelles principales questions il faut nécessairement étudier pour être en mesure de lui apporter une réponse. Il ne s'agit donc pas d'affirmer quoi que ce soit, ni de répondre, mais de s'interroger ! Si des opinions ou des définitions y apparaissent, ce doit être au conditionnel, en marquant bien que ce sont de simples éventualités, que l'étude du sujet devra confirmer ou infirmer. A ce stade, on ne sait rien, on indique ce qu'il va falloir chercher.
Comme il s'agit de manifester la présence d'un ou quelques problèmes, qui se posent et qui ne dépendent d'aucune doctrine particulière, il faut éviter toute mention d'auteurs philosophiques dans l'introduction. Ceux-ci ne doivent intervenir qu'ensuite, pour aider à soulever des questions plus particulières, ou pour proposer certaines réponses, mais pas pour fixer la problématique d'ensemble.
Faut-il faire une « annonce de plan » ? Ce n'est pas une faute d'en proposer une, mais il est plus habile de présenter simplement les points d'interrogation dans l'ordre qui sera suivi ensuite dans le devoir (plutôt qu'en vrac) : par là même le plan sera indiqué, sans que cela prenne la forme d'une « annonce » formelle. – Si toutefois on en fait une, cette « annonce » ne doit pas indiquer des réponses mais des objets d'examen, des points à examiner et non pas le résultat de l'examen lui-même. Donc proscrire toute formule du genre « dans un premier temps nous verrons que, ou nous soutiendrons que, etc. », mais dire plutôt « dans un premier temps nous nous interrogerons sur... ».
Enfin, il faut éviter toutes les remarques creuses et inutiles que l'on trouve si souvent dans cette partie du devoir, du genre : « Tous les philosophes se sont demandés si... ». Cela n'avance à rien ! Une fois que l'on a dit cela, on n'a strictement rien dit sur le sujet. Et ici comme partout dans le devoir, il faut appliquer la règle : tout ce qui est tel que, si on l'enlevait, il ne manquerait rien, il faut l'éliminer. De même, il faut éliminer de l'introduction tout ce qui est tel, que l'on pourrait dire exactement la même chose si le sujet était un autre que celui-là.
A l'opposé de l'introduction, la conclusion est le temps de la réponse, et non pas des raisonnements ni des questions. C'est pourquoi on ne s'obligera pas à « ouvrir sur un autre problème » : une conclusion, comme son nom l'indique, ne sert pas à ouvrir mais à fermer ! Il s'agit de dire, de façon claire et rapide, ce que la recherche donne finalement comme réponse à la question posée, en rappelant la principale raison qui justifie cette réponse. Il n'est pas du tout obligatoire que cette réponse soit bien nette et pleine de certitude : il est permis de rester dans l'indécision, du moment qu'il y a de vraies raisons pour cela. La règle est simple : on indique ce que la recherche permet de répondre, tel quel, ni plus ni moins. – La conclusion n'est donc pas un résumé: il faut donner le résultat final, sans répéter en raccourci le chemin suivi pour y arriver.
Détail formel : éviter de commencer la conclusion par « Pour conclure, ... », comme le font 80% des étudiant(e)s.
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Pourquoi avons-nous du mal à reconnaître la vérité ?
Remarques générales
Le sujet présuppose qu'il y a une vérité, qu'il est difficile mais possible de la reconnaître, et il demande la ou les raison(s) de cette difficulté pour « nous », autrement dit pour tous les hommes en général, l'homme comme tel.
Il ne faut donc pas se demander s'il y a une vérité absolue ou pas, mais se contenter d'envisager la forme de vérité dont l'existence est incontestable (par exemple : si j'ai fait quelque chose et que j'affirme que c'est bien moi qui l'ai fait, je dis la vérité ; si je dis que les ombres n'existent pas par elles-mêmes, mais sont le résultat d'une projection de lumière sur des objets, je dis une vérité). Dans tous les cas, le vrai est ce qui est conforme à la réalité, que celle-ci soit physique ou non.
La notion de reconnaissance peut prendre, dans ce sujet, deux formes principales [je laisse de côté la re-connaissance, qui ne peut se distinguer de la « simple » connaissance qu'en recourant à la doctrine platonicienne de la réminiscence ; il n'est évidemment pas interdit de la prendre en compte, mais ici ce n'était pas exigible] : reconnaître au sens de voir, discerner, distinguer du reste ; et reconnaître au sens d'admettre, avouer. Dans le premier cas, il s'agit de s'interroger sur les obstacles qui rendent difficile le discernement de la vérité, alors même qu'on la cherche et qu'on la désire loyalement ; dans le second, il faut s'interroger sur ce qui nous rend difficile d'admettre le vrai, lors même que nous le connaissons. Ne pas arriver à reconnaître la vérité au premier sens, c'est tomber dans l'erreur, alors que ne pas la reconnaître au second sens, c'est commettre un mensonge, que celui-ci soit adressé à autrui ou à soi-même (non pas une erreur mais une faute).
Pour l'ordre il n'y a pas de règle absolue : on peut considérer qu'il faut commencer par le domaine de l'honnêteté morale et la question du désir pour la vérité, parce que les problèmes relatifs à la connaissance du vrai ne se poseront que pour un être qui, déjà, a décidé de la chercher. Mais on peut aussi considérer que l'ordre inverse est préférable, puisque, pour s'interroger sur les obstacles à l'admission (aveu) de la vérité, il faut déjà qu'elle soit connue, et donc que les obstacles à sa découverte aient été surmontés.
Pour des raisons de facilité de construction, on choisira ici la seconde mise en ordre.
Introduction
Reconnaître la vérité peut vouloir dire aussi bien la voir, la discerner, que l'admettre ou l'avouer. Or la question "pourquoi avons-nous du mal à reconnaître la vérité ?" suggère que, dans les deux cas, nous n'avons aucun mal à ne pas le faire, comme si l'homme ("nous") avait en lui une sorte de pente naturelle menant à l'erreur et au mensonge, ou du moins, comme si l'homme ne faisant pas d'effort (ne se donnant pas de "mal") était naturellement enclin à tomber dans ces deux travers. Qu'est-ce donc qui s'interpose d'abord, et dès le départ, entre l'homme et la vérité ? Est-ce le même genre d'obstacle dans les deux cas (discerner le vrai, admettre le vrai), et le même genre d'effort à produire pour le surmonter ? Tout sera différent, semble-t-il, selon que la difficulté vient uniquement ou principalement de nous, ou bien de quelque chose d'extérieur à nous. Et si l'obstacle est en nous plutôt que dans les choses elles-mêmes, encore faut-il se demander en quelle partie de nous il prend sa source, et jusqu'à quel point il met en jeu notre essence même.
La suite n'est pas strictement rédigée comme un devoir, mais va à l'essentiel et comporte des remarques ou conseils adressés directement à l'étudiant(e) [en bleu entre crochets].
Ière partie
On se demande pourquoi nous avons du mal à discerner le vrai et à ne pas le confondre avec le faux. On envisage le vrai comme ce qui est conforme à un état de fait réel (physique ou non). Dans ce cas de figure, le vrai ne se dissimule pas volontairement à nos yeux, il n'y a pas de volonté de nous tromper du côté de l'objet (= ce que l'on cherche à connaître) ; et du côté du sujet (= celui qui cherche à connaître), il y a un sincère désir de vérité, une volonté réelle de la connaître. L'obstacle éventuel n'est donc pas lié à la présence d'une volonté mauvaise ou d'une mauvaise volonté ; mais suffit-il de vouloir sincèrement le vrai pour que son discernement ne présente aucune difficulté ? Un double obstacle semble bien s'interposer, malgré tout, entre la vérité et nous. D'une part, la « surface » des choses, leurs apparences éventuellement trompeuses [développer à l'aide des cours, en faisant la différence entre l'essence et les accidents, et en soulignant que la première n'apparaît jamais immédiatement, à l'état « nu », mais toujours d'abord recouverte, « habillée » ; cf. par exemple Hegel, l'image de l'écorce ou du rideau]. D'autre part, nos certitudes, idées immédiates qui nous bouchent la vue [idem, par exemple avec Descartes (nos « certitudes » trop vite adoptées)]. Mais le principal obstacle est le second, et il est donc en nous : car la surface des choses se laisse percer et traverser sans résistance si nous faisons ce qu'il faut pour cela ; les choses ne mentent pas, elles n'ont aucune volonté de ne pas être reconnues, identifiées, discernées. Le succès dépend donc essentiellement de nous et c'est donc surtout nous-même qu'il faut vaincre, c'est sur nous qu'il faut travailler pour atteindre le vrai. Si nous nous laissons aller à nos premières impressions, sans « nous donner de mal » pour les écarter, nous passerons donc à côté du vrai. Nous avons du mal à reconnaître la vérité parce que notre regard est d'abord brouillé par nos certitudes immédiates.
Transition : Mais cela suppose que la vérité soit, de son côté, inerte, disponible et acceptant d'être découverte ; or est-ce toujours le cas ?
IIème partie
Les choses se compliquent lorsque nous avons affaire à une volonté libre, donc à autrui. Cette fois l'obstacle au discernement du vrai [on garde le même sens de "reconnaître" qu'en Ière partie] n'est pas seulement en nous, mais aussi à l'extérieur de nous : autrui peut me tromper, me présenter comme vrai ce qui, en fait, ne l'est pas. Et cela parce que autrui, en tant qu'être libre, est capable de produire volontairement de fausses apparences, une « surface » qui masque ou déforme le vrai (alors que quand il s'agit de choses ou de concepts, la « surface » ne résulte pas d'une volonté de tromper). Dans ce cas, même si je prends conscience de mes certitudes immédiates et que je les mets de côté, même si je vois les choses « telles qu'elles sont », je peux manquer la vérité, car ce que pense vraiment, ce que veut vraiment, ce que ressent vraiment quelqu'un, je ne peux le connaître que s'il me le montre sans déformation. On peut croire que l'autre nous dit la vérité alors qu'il nous ment, par exemple quand il nous dit ce qu'il a fait hors de notre présence, quand il nous fait une promesse, quand il nous dit quel sentiment il éprouve pour nous, etc.
Illustration possible : le séducteur qui, comme Don Juan dans l’œuvre de Molière, fait des serments d'amour alors qu'il n'éprouve nullement ce sentiment, pour parvenir à ses fins.
L'accès à la vérité dépend alors entièrement de la véracité d'autrui, c'est-à-dire de la droiture de son intention, de son honnêteté morale ; je ne peux que lui faire confiance, m'en remettre à lui. Ce qui revient à admettre que je suis moi-même impuissant, tributaire de la volonté d'autrui, « livré » à celle-ci : si autrui me ment, il interpose entre la vérité et moi un obstacle dont le franchissement ne dépend pas de moi, de sorte qu'il me faut renoncer à la posture d'auto-suffisance ou de toute-puissance du sujet cartésien. Nous avons du mal à reconnaître la vérité parce qu'elle dépend d'une libre volonté qui n'est pas la nôtre.
Transition : La possibilité du mensonge et la nécessité de la confiance signifient donc qu'il est possible de ne pas désirer la vérité, de la refuser, et que l'accepter n'est pas forcément facile. Pourquoi ?
[remarque : en construisant ainsi la succession des parties, on rend manifeste un lien entre les deux aspects du sujet, celui de la connaissance et celui de l'honnêteté morale, car avec autrui et les vérités qui le concernent, la première dépend de la seconde ; on évite ainsi de juxtaposer simplement les deux dimensions que le sujet met en jeu].
IIIe partie
C'est le second sens de « reconnaître » qui passe au premier plan. Celui qui ment, cherche à tromper, se donne de fausses apparences, n'a pas de mal à discerner et à connaître la vérité : il la connaît même forcément, lorsqu'il s'agit de vérités à propos de choses dont il est lui-même la source : ce qu'il a fait ou dit, ce qu'il pense, ce qu'il ressent, etc. L'obstacle est donc uniquement en lui, contrairement au cas examiné en Ière partie, et il est d'une autre nature : non dans sa raison (insuffisamment ou mal employée), mais dans sa volonté. Il ne veut pas de la vérité. En ne reconnaissant (admettant) pas la vérité, il me rend difficile ou même impossible de la reconnaître (discerner). Et cette tendance existe en nous tous : admettre la vérité, l'avouer, la manifester, nous est difficile, cela nous demande un effort. Pourquoi ? Parce que bien souvent nos intérêts ou nos désirs s'y opposent. Nous ne sommes pas spontanément amoureux du vrai (= philo-sophes), mais plutôt de nous-même, de notre petit moi. C'est ce que suggère Descartes, dans l'une de ses lettres à Élisabeth, lorsqu'il évoque ceux qui se mentent à eux-mêmes en vue de leur bien-être.
Confirmation : la tendance que nous avons parfois à rejeter hors de nous-même la cause de nos actes ou décisions, à nous considérer comme les malheureuses et impuissantes victimes de forces extérieures [ce que Sartre, dans L'existentialisme est un humanisme, appelle la « mauvaise foi »].
Mais cela semble signifier, au fond, que c'est notre statut même de sujet libre et responsable que nous avons du mal à assumer, autrement dit la vérité de ce que nous sommes, en tant qu'êtres irréductibles à leur dimension physique, psychologique ou sociale. C'est seulement à un homme refusant la vérité à propos de sa propre essence, que la vérité peut paraître indésirable chaque fois qu'elle heurte ses désirs ou intérêts particuliers. Et même si cet homme admet la vérité lorsqu'elle se trouve correspondre à ses désirs ou intérêts, on ne peut pas dire qu'il la reconnaît vraiment : car c'est alors de manière contingente, et pour des raisons extérieures à la vérité elle-même, qu'il l'accepte telle qu'elle est.
Conclusion
Ce n'est donc pas la même partie de nous-même qui fait obstacle, selon qu'il s'agit de discerner la vérité, ou de l'admettre. Et dans la mesure où c'est cette seconde forme de reconnaissance qui met en jeu notre rapport à notre propre essence, ne faut-il pas en conclure que, si nous avons du mal à reconnaître la vérité, c'est d'abord parce que nous manquons souvent de courage pour assumer le poids de notre responsabilité, aussi bien envers autrui qu'envers nous-même ?